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BEAULIEU-SUR-DORDOGNE - Abbatiale saint Pierre

Un merveilleux témoignage de l'art roman limousin,
un village de conte de fées où le divin côtoie le païen

dans un décor somptueux au bord de la Dordogne.

 

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Quand on déboule sur la ravissante place bordée de belles maisons du 16e siècle et de plus un jour de marché comme je l'ai fait cet été, le porche de l'église vous aimante, imposant, cachant son tympan unique raffiné, l'un des mieux conservé en Europe, frère de Conques et Moissac qui a su donner à la chrétienté ses lettres de noblesse.

Un retour en arrière s'impose pour ne pas mourir idiot grâce aux informations recueillies dans le Cartulaire de l'abbaye. On sait que vers 855, un monastère est fondé par Rodolphe de Turenne, archevêque de Bourges sur les terres de son papa le comte de Quercy et seigneur de Turenne (une grande famille super-puissante et toujours en guerre ou en croisade) au lieu-dit Bellus Locus (Beaulieu) à l'époque, petit village de pêcheurs et quile place aussitôt sous l'invocation de saint Pierre afin qu'il prenne soin de son vieux papa pour sa montée au paradis.

Quésaco un cartulaire ? il consiste en un recueil d'actes, établis pour une personne physique ou morale, des titres relatifs à ses biens ainsi que des informations sur son histoire. C'est un mot médiéval  chartularium, « recueil d'actes » dérivant du latin charta, « papier ». La plupart sont d'ordres religieux et concernent les cathédrales, les abbayes, etc. Mais on en trouve aussi des laïcs sur ordre de nobles, comtes ou barons.

 

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L'abbaye de Beaulieu ainsi que le plan de l'église abbatiale.

 

Ce Rodolphe qui n'avait pas de cœur a été formé à l'abbaye de Solignac pas très loin de là, dans la Haute-Vienne près de Limoges et pour peupler son monastère fait venir douze de ses compères ravis de changer de murs et d'horizon. Mais une abbaye il faut aussi la rentabiliser et comme les reliques sont à la mode, il en fait exposer trois, n'allez pas imaginer des bras ou des jambes, seulement des petis bouts informes, celles de saint Félicien, saint Prime et sainte Félicité qu'il a ramenée de Rome dans sa valise diplomatique et éparpillé dans tout le secteur. Une église existait vraisemblablement à cette époque, les fouilles entreprisent au siècle dernier le démontrent et certains éléments ont même été récupérés pour la construction de l'abbatiale actuelle. Au moyen-âge, peu de festivités pour le commun des mortels,  alors les foules de pèlerins accourent et l'engouement perdure encore pas mal de temps. 

 

abbayesolignac.jpgL'abbaye de Solignac.

 

Un siècle plus tard, le monastère très prospère grâce à ses  nombreuses possessions s'étendant sur deux départements actuels, le Lot et la Corrèze  est convoité par Hugues de Castelnau dont le superbe château tient encore debout et tout près de Beaulieu. Au 10e siècle, on pouvait être, seigneur et abbé et se servir allègrement dans les biens monastiques de son abbaye. C'est ce que fait le fameux Hugues mais les moines pas contents du tout le dénoncent devant un concile à Limoges en 1031. Copinage oblige, le chevalier Hugues est acquitté de ses piratages religieux mais ces messieurs l'obligent à mettre l'abbaye sous les ailes protectrices de celles de Cluny, nec plus ultra question rayonnement religieux. Du coup, tout rentre dans l'ordre et s'ensuit une grande stabilité surtout durant la période de l'abbatiat de Géraud d'Aurillac, un drôle de saint mais qui put ainsi faire le plus gros de la construction de l'église abbatiale et de la consacrer en 1103 par les évêques du coin. Après moult péripéties elle sera enfin terminée vers 1140. Ouf !  

 

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 L'abbaye de Cluny et Géraud d'Aurillac.

 

Bon, vous connaissez la petite histoire, passons aux choses sérieuses, c'est-à-dire, ce fameux tympan souvent comparé à celui de Moissac et présentant pas mal de points communs entre autres cette entrée destinée aux laïcs, les moines avaient la leur située sur le côté nord qui à l’époque était relié au cloître.

D'abord de par ses  dimensions imposantes, 5,8m de large sur 4,1m de haut, le tympan en impose. C’est une représentation qui se lit sur quatre niveaux, celui du haut représente le monde céleste tel que les chrétiens devaient se le représenter avec le Christ dans des dimensions disproportionnées faisant le lien avec le monde terrestre. Dessous, l'enfer, le monde souterrain et en bas, les monstres et le chaos général. Véritable bande dessinée de pierre dont la polychromie très vive s'est dissipée au cours des siècles. Elle est l'œuvre de tous ces "tailleurs d'images" de Toulouse qui allaient d'une abbaye à une église, leurs outils dans la besace laissant sur leurs passages les merveilles de Moissac, Souillac et Collonges.

 

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Le Christ est assis au centre et mesure plus de 2m, ce n'est pas comme on l'a cru longtemps la scène du Jugement dernier, mais la scène le précédent, un triomphe où le Christ est assis sur son trône et foule à ses pieds ses ennemis. La couronne que porte un ange n'est pas faite d'épines, c'est une couronne impériale. Une foultitude de personnages, d'animaux composent un tableau étourdissant. Détail qui a son importance, on peut voir de part et d’autres des morts sortant de leur tombeau, sept petits personnages très curieux qui sont des juifs et des païens, certains portant bonnets phrygiens et soulevant leur tunique montrant ainsi leur circoncision par des gestes très expressifs, spectateurs muets,  étonnés et égarés de la venue du Christ-juge et de son avertissement divin.

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En haut, de part et d'autres du Christ, les apôtres. Dessous, Les juifs et les païens. Les tentations du Christ.

 

On peut voir aussi une mer de feu simulant l'enfer, des monstres batifolant dans ses flots. Plus bas des damnés sont dévorés par où ils ont péchés, un ours personnifie la gourmandise mais le plus évocateur est la luxure représentée par une figure féminine dont les seins et le sexe s’offrent au déjeuner gourmand de serpents en folie ! et bien sûr la Bête de l'Apocalypse symbolisant l'orgueil, le pire des péchés ! Plus loin, un dragon vomit des singes, allez savoir pourquoi !

 

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Les trumeaux sont décorés par des Atalantes très étirées comme dans la statuaire romane, dommage, l'ensemble est pas mal érodé par les intempéries et le temps qui passe ! 
Faisons le tour de l'abbaye car l'arrière est magnifique avec ses trois chapelles rayonnantes et ses deux absidioles. Le clocher lui est carré, un peu de guingois et posé à la croisée du transept. Il s'élève sur un étage octogonal et il est bordé de petites tourelles ravissantes. Beaucoup d'animaux fantastiques soutiennent les corniches, une créativité délirante de la part de ces artistes. Il a été construit après l’abbatiale au 14e siècle et avec ses meurtrières il fait penser plutôt à un donjon qu’un clocher.

 

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[Petite anecdote, le fameux maréchal Ney, copain de l'empereur, le petit corse,  recherché par la police, se cacha dans le clocher pendant plusieurs jours après l’échec des “Cent jours” avant d’aller se planquer au château de Bessonnie pas très loin, chez une cousine de sa femme pour être arrêté et emmené à Paris, jugé et exécuté !]

 L'abbatiale fut pendant des siècles un lieu important de pèlerinage, outre les reliques, elle se trouvait sur le chemin de Compostelle et tout ce brave monde faisait une pause à Beaulieu pour la bénédiction afin de parvenir sain et sauf au bout du chemin. Donc, pour ces centaines de pélerins, un large déambulatoire permettait de circuler ainsi que de grandes baies géminées s’ouvrant sur la tribune sans interrompre les offices.

 

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Quatre travées voûtées en berceau s'élèvent vers un spirituel hors du temps ! Certaines colonnes sont intéressantes par leurs décors sculptés à la base ce qui est un fait rare. On retrouve une symbolique faites d'animaux étranges et de personnages assez douteux ! 

Deux splendides retables baroques tout de bois doré, plus loin dans le transept sud un autre retable moins somptueux mais pas moins intéressant est dédié aux deux frères et saints patrons de la ville ; Saint Prime et Saint Félicien.

 

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La fameuse porte murée et un détail du chevet d'une abside.
 

La seule partie d’origine de l’abbatiale se trouve dans le transept nord, c’est la sacristie autrefois la salle capitulaire.
Le cloître lui a disparu depuis belle lurette mais la porte qui y donnait accès est toujours là avec son linteau sculpté, un homme, qui fait penser à Daniel dont les mains sont léchées par des lions.

 

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Le trésor est magnifique et surprenant avec une somptueuse Vierge du 12 siècle recouverte de feuilles d’argent partiellement dorées tenant sur un genoux Jésus présentant le livre de la Nouvelle loi, des pierres semi-précieuses ornent les deux couronnes de la Vierge et de Jésus, autre trésor, une châsse reliquaire en émaux avec une très belle iconographie des rois mages. Sublime orfévrerie religieuse.
On ressort à la lumière sauvage d'un été éblouissant un peu plus léger qu'en entrant, allez savoir pourquoi !
Un grand merci à tous ces bâtisseurs qui au-delà des siècles ont su nous transmettre ce message de beauté et de paix.

 


05/11/2015
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