ICI, LÀ ET AILLEURS

LA BELLE ET LA BAIE

Opéra en 3 actes, musique de Dame Nature, livret de Monsieur Océan.

Premier acte. NAISSANCE DE PECTEN MAXIMUS

Une Pecten hermaphrodite aux allures si féminines pond en été ses petits qui vont rester quelques 3 semaines en suspension dans l’eau nourricière avant de trouver un support qui vont leur permettre de s’y fixer et de grandir.

A trois semaines la petiote va quitter son tuteur pour aller vivre sa vie dans le sable, c’est là ou sa belle coquille va se former en se nourrissant du calcaire du sable. L’été fini, le bébé mesure déjà
2 cm et c’est seulement au bout de 2 - 3 ans qu’il aura atteint sa taille définitive, environ 10 cm pour pouvoir être pêché et atterrir dans nos assiettes. 

Dans son style, la Pecten est particulière, tout d’abord elle possède des yeux, bien sûr pas comme les autres animaux avec pupilles  mais les siens sont catadioptriques, pour faire plus simple, on peut dire qu’ils fonctionnent par réflexion, quand elle est vivante dans le sable, pour se déplacer, elle s’entrouvre légèrement et ce sont 2 points noirs posés sur le bord de son manteau qui par réflexion de son environnement vont ainsi la guider.

Autre particularité, sa glande génitale que l’on nomme “corail” est en fait constitué de deux parties, l’une mâle de couleur blanche et l’autre femelle d’un beau rouge légèrement orangé, pour faire plus simple, deux organes sexuels, c’est une coquille hermaphrodite. 

Elle se déplace sur le sable grâce à ses valves qui en claquant  expulsent l’air lui donnant ainsi de l’élan. Elle va ainsi vivre dans ce milieu très riche en plancton dont la belle est très vorace jusqu’à finir dans un casier d’un coquillier et sans billet de retour dans votre assiette. fin du premier acte. 

Deuxième acte. LA PÊCHE MIRACULEUSE

Dans le petit matin frileux d’un lundi de février, ce pourrait être aussi un mercredi, tout est calme, l’aube cotonneuse a du mal à s’extirper d’une nuit sans fin, la marée haute vient taper dur sur les coques de la soixantaine de coquillers. A 6000 miles au large de la baie de Saint-Brieuc ils attendent le coup d’envoi très précis pour lancer les dragues et commencer la pêche si l'on peut dire miraculeuse. 

Le branle-bas de combat se met en place, les dragues frétillent, et brusquement sur l’eau explose un feu d’enfer, l’eau n’est pas rouge de sang mais blanche de la lumière des projecteurs.

Il est 7h 20, enfin le coup d’envoi est donné et c’est parti ! Dans un bruit d’enfer les dragues descendent à 40 m de profondeur pour racler le sable et remonter les belles, les moteurs puissants s’emballent dans un vacarme effroyable, les dragues à toute berzingue montent et descendent, les hommes trient et rejettent à l’eau les coquilles non conformes, on entasse  vite fait dans des caisses. Les gestes sont rapides et sûrs, on s’interpelle en mot d’ordre brefs, le temps est compté et il est cher! Là haut l’avion tourne inlassablement au-dessus des coquillers et les vedettes de surveillance fond des ronds dans l’eau pour surveiller ce beau monde. 8 heures, stop, tout le monde s’arrête, les dragues remontent, on rejette vite fait les dernières coquilles à l’eau, on surveille les res-quilleurs, ils ne sont pas pléthore car ils risquent gros, suspension de leur licence, confiscation de leur pêche et une belle amende pour couronner le tout. Chut ! par temps de crachin certaines pêches sur les coquillers sont plus importantes, comment contrôler par ces temps, c’est un peu duraille ! L’eau subitement redevient calme, l’enfer a disparu pour laisser place à un paysage digne d’une estampe d’Hokusai !

 
Arrivée au port, on décharge et on trie.

Troisième acte. UNE AUTRE HISTOIRE

On retrouve la belle dans les tombeaux comme décoration et offrande aux morts. Elle a aussi été une protection pour se préserver de différentes maladies, mais aussi du mauvais sort qu’une sorcière pouvait jeter à n’importe quel quidam.

Elle figure aussi sur les murs des villas de Pompéi, elle sera évidemment sur toutes les églises romanes et gothiques mais aussi sur les toiles des maîtres de la Renaissance.

Au 20e siècle elle est encore honorée et c'est un certain Pablo grand gourmand devant l'éternel qui la colle dans une de ces toiles dont il a le secret.

C’est au moyen âge qu’elle devient un des emblèmes des pèlerins de saint-Jacques de Compostelle. Les jacquets, en longeant les plages de la Galice ont coutume de ramasser ces coquilles en souvenir de leur long périple. 

 A la coquille il faut rajouter le bourdon ou gros bâton, la besace et un chapeau à larges bords. Au début de la création du chemin, c’était cette coquille de Pecten que le pèlerin fixait sur son chapeau ou son manteau qui au fil du temps prendra le nom de coquille saint-Jacques et fera de lui un homme nouveau qui rentrera auréolé de gloire dans son patelin. Cette coquille servait aussi de sésame lors de ce grand voyage, elle autorisait celui qui la portait à boire dans les fontaines, à demander l’aumône pour le gîte et le couvert, Voilà déjà une question réglée.

Mais pourquoi cette coquille ? Elle n’a jamais été la preuve que le jacquet avait été jusqu’à Saint-Jacques, alors ? Il ne faut pas oublier qu’au début du Camino au moyen-âge, les pèlerins étaient pour la plupart de pauvres mecs - très peu de femmes l'effectuaient - qui n’avaient pas trop de linge de rechange pour faire cette longue route, 1200 km et même plus pour certains  ! De nos jours il n’y a plus de pénitences à effectuer le long du périple, mais à l’époque, c’était fréquent que les gars aient à faire des centaines de mètres sur les genoux pour se faire pardonner de leurs pauvres pêchés ! Cette marche à genoux perdurera pour longtemps dans toute l’Europe chrétienne !

Les culottes s’usaient à grande vitesse à ce régime-là et sans rechange c’est souvent en loques et les genoux en sang qu’ils poursuivaient leur chemin. L’un deux, un jacquet pas trop bête et avec un peu de jugeote trouva la solution géniale pour économiser et les genoux et le pantalon.

Ces fameuses Pecten qu’ils ramassaient le long des grèves et bien devinrent des genouillères en perçant de part et d’autre de la coquille deux trous dans lesquels on enfilait une cordelette que l’on pouvait facilement attacher sur ses genoux ! Un seul hic, on économisait un pantalon mais les genoux eux n’étaient pas épargnés ! 

Cette pratique dura quelques temps puis un autre gars eut l’idée de remplacer la coquille par des genouillères en cuir ! La coquille perdit ainsi son côté utilitaire mais elle entrait dans l'histoire comme objet symbolique et ésotérique tout en étant a preuve que l’on avait été jusqu’au bout du chemin.

Voilà pour la petite histoire, mais la belle Pecten réserve plus d’une surprise dans sa coquille, question gastronomie !

Pour changer des recettes traditionnelles rien de tel qu'un peu de citron vert ou une gousse de vanille !

La chair de la belle est fine, fondante au léger goût de noisette. Elle se suffit largement à elle-même et au contraire des gratins de nos grands-mères rien de tel que quelques noix justes poêlées dans un beurre salé breton bien entendu ! 

Je vous laisse le soin de l'accommoder comme la perle qu'elle est. Tous à vos poêles! Moi, personnellement je l'adore servie crue en carpaccio, elle n’en est que plus délicieuse.