VENISE — Murano
UN MATIN de printemps OU LA BRUME S'ÉVAPORAIT EN LAMBAUX NACRÉS, direction MURANO L’ÎLE DES VERRIERS, OU COMME ON L’APPELAIT AU 17ⅇ SIÈCLE
❝LA PRISON DE VERRE❞
Un quai, un charmant pont et les pieux aux têtes noircies très spécifiques de la lagune
Une traversée agréable de 2 km mais qui a duré 45 minutes, glissant sur le miroir de la lagune, passant devant San Michele l’île aux morts (le cimetière de Venise) comme l’a si bien peinte Böklin, la même impression de mystère et de romantisme s’en échappait que celle ressenti à la contemplation du tableau à Orsay lors d’une rétrospective de cet artiste symboliste dont l’œuvre m’a toujours impressionné.
Enfin, nous voilà à quai, je pars en balade le long des petits canaux bordés de maisons basses avec le clocher penché de la basilique de Santi Maria e Donato comme point de repère. Petite incursion dans l'église au pavage superbe.
De délicieuses rues, des placettes magiques aux superbes œuvres contemporaines en verre, des boutiques à touristes, il faut bien vivre. J'ai aussi pénétré dans de sublimes galeries d'art mais là, c'était pas à la portée de ma bourse mais le plaisir des yeux était récompensé!
Au cours de mes déambulations, une cour attire mon regard, j'y pénètre. Je joue la curieuse, je pousse une porte, pénètre, et me trouve dans l’atelier le plus important de Murano, au cœur de l’action. C'est le chaos, une fournaise pas possible, des souffleurs au travail, un monde qui s’active autour des fours ou règne une ambiance d’enfer !
Pendant une bonne heure j'ai suvi le travail passionnant d’un verrier.
Vous me direz mais pourquoi fabrique-t-on du verre à Murano ? Première réponse, Murano n’a pas toujours été l’île aux verriers. C'est jusqu'au 12 siècle un lieu de plaisirs pour les notables du coin.Les verriers en question étaient établis à Venise et fabriquaient des pièces pour tous les grands de l’Europe faisant ainsi la gloire de la Sérénissime.
Amphore du 15e, coupe de mariage et tasse du 17e dans le fameux "lattimo" blanc comme
de la porcelaine.
A l’époque, Venise était surtout construite en bois, et bien sûr, le verre à besoin du feu d’où la peur des incendies. Les doges décidérent alors de déplacer les ateliers sur l’île de Murano, et pour les encourager à s’y installer leur donnent pas mal de privilèges dont celui pour les filles d’avoir la possibilité d’épouser un noble vénitien, mais aussi des obligations dont celle de ne jamais quitter l’île afin de garder secrète la fabrication de ce verre très spécial, cristallin, très léger et élégant qui n’est pas celui que nous connaissons.
Mais les secrets ne furent pas ausi bien gardés,il y eut une fuite par voie d’eau, catastrophe, la Bohème se mit à fabriquer un cristal assez identique dans ses déclinaisons sans parler de la France avec Saint-Gobain…
Nos verriers de Murano devant cette concurrence furent dans l’obligation de trouver une autre technique spéciale et c’est au 17e siècle que le “reticello” voit le jour avec un succès immédiat et qui ne se démentira pas des siècles après pour arriver jusqu’à nous, d’ailleurs on l’appelle “dentelle de Bruxelles” c’est pas peu dire !
On peut dévoiler maintenant le secret de la fabrication de ce "reticello".
Le principal outil du souffleur est une canne de verre avec laquelle il extrait le verre en fusion du four. La forme peut être donnée par une matrice en bois humide et le souffleur peut ainsi lui donner des mouvements de rotation plus ou moins rapides pour que la masse prenne sa forme.
Beaucoup de matrices circulent en fonction de la finalité de l’objet. Ce jour-là j’ai vu un souffleur donner des entailles au verre en fusion en le roulant sur la grille de la matrice tout en s’aidant d’une baguette en bois humide pour obtenir des parties de la pièce qu’il réalisait, çà peut être le socle d’un vase, les anses sur une potiche.
Pour certaines étapes, la face de la pâte de verre — à ce moment là elle est neutre — est garnie de petits fils blancs ou colorés, puis le souffleur enduit une forme plus ou moins creuse d’une autre couche de verre, il donne alors à sa canne de verre un mouvement rapide qui fait s’entremêler les fils obtenant ainsi un genre de résille qui fait penser à de la dentelle d’où l’appellation de "dentelle de Bruxelles".
Aujourd’hui, au 21e siècle, la conccurence est rude, nous sommes loin de celle de la Bohème, mais plus près de Hong Kong, mondialisation oblige, avec des produits plus ou moins équivalents mais dont le coût de la main d’œuvre n’est pas le même.
Heureusement la production locale perdure, une cinquantaine d’ateliers fabriquent des objets assez ordinaires pour continuer à exister afin de satisfaire une clientèle de touristes à la recherche d’une bimbeloterie.
Par contre, les maîtres verriers, actuellement, produisent des pièces aux lignes résolument contemporaines tout en maintenant la tradition du 15e siècle, c’est le cas de Barovier et Toso ou Venini, un travail magnifique d’une grande finesse et d’une authentique création artistique, mais ces pièces-là ne sont pas à la portée du touriste lambda!
Un matou rêvant à sa septieme vie, une placette colorée…
et recto-verso un drôle de mec !
Flânerie à travers les ruelles, déjeuner au bord d'un canal, dans mon assiette le poisson de la lagune.
Fin de journée, retour vers la Sérénissime en vaporetto, la tête pleine des couleurs merveilleuses de ce verre vraiment unique.
Un grand bravo à tous ces artisans anonymes et humbles mais fiers de perpétuer une tradition vieille de huit siècles !
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